Histoire de la ligne Laon-Liart

 

Extrait de "Graines d'histoire" N°20

La ligne LAON-LIART (1888-1969)

Quand le chemin de fer était d'intérêt local...

 

Autant que les grandes lignes de chemin de fer, celles dites d'intérêt local ont une histoire. Ouverte h partir de 1888, la ligne entre Laon et Liart dans les Ardennes a joué un rôle dans la transformation de l'économie et des mentalités de toute une région. Fermée au trafic voyageurs depuis 1969, elle ne subsiste plus aujourd'hui pour le trafic marchandises que sur le tronçon Laon-Montcornet. Entre Montcornet et Résigny, les trains d'autrefois ont maintenant laissé la place aux randonneurs. Et partout subsistent toujours les anciennes gares et d'autres vestiges d'archéologie ferroviaire.

De la fin du XIXèmesiècle jusque dans les années 1960, pour les habitants entre Thiérache et Laonnois, le train a constitué un moyen de transport utile et pratique pour se rendre du département des Ardennes vers le chef-lieu du département de l'Aisne, pour les affaires, pour le travail ou tout simplement pour «aller au lycée» comme interne. On empruntait ainsi la ligne de chemin de fer Laon-Liart.

Cette ligne de chemin de fer était idéale, bien entendu, pour des destinations plus lointaines vers Paris et dans tout l'Hexagone, pour les jeunes gens appelés sous les drapeaux par exemple. Au contraire des «rapides», des «express» ou des «directs», les omnibus de voyageurs s'arrêtaient dans toutes les petites gares. Il n'était pas rare de voir, dans un arrêt de campagne comme Chivres, descendre ou monter des pêcheurs venus pour une journée exercer leur passe-temps favori dans les marais tout près de là.

Le réseau d'intérêt local

Tel qu'il avait été défini par la loi de 1842 sous le régime de la concession à des compagnies privées, le réseau des grandes lignes est pratiquement achevé en 1865. La construction de lignes d'intérêt local peut commencer : en 1876, sur 4 382 km concédés, 2 068 sont déjà en exploitation. Charles Freycinet, ministre des Travaux Publics de 1877 à 1879, lance un programme ambitieux d'extension du réseau ferré afin de donner à tous les Français l'accès par le rail à l'ensemble du territoire national. 8.700 km de lignes nouvelles d'intérêt local sont construites.

Après la crise financière de 1882, l'État choisit de partager l'effort de couverture ferroviaire avec de petites compagnies locales intégrées dans les réseaux principaux.

Dans l'Aisne, c'est la grande période de l'essor des sucreries, des entreprises qui sont dans le cas présent séduites par l'extension du réseau ferré dans les zones rurales. La sucrerie de Montcornet et la première râperie de France construite à quelques kilomètres de là, à Boncourt, dans le hameau de Saint-Acquaire, ont été fondées en 1866, par les frères Linard avec la volonté de patrons d'industrie de contribuer à la transformation économique de la région. Les paysages agricoles changent, l'économie locale également avec de nouvelles sources de profit. Le chemin de fer est attendu.

Aussi n'est-il pas surprenant de voir l'un des fondateurs de la sucrerie de Marle et par ailleurs maire de Tavaux, M. Wateau, se présenter en 1867 devant le conseil municipal de La Ville-aux-Bois-lès-Dizy. L'ordre du jour de la réunion concernait le projet de construction d'un chemin de fer de La Fère à Rozoy, par Marle et Montcornet : «Il [le maire de Tavaux-et-Pontséricourt, M. Wateau, défenseur de ce projet] explique que toute la contrée comprise entre les lignes de Laon à Hirson, d'Hirson à Charleville et de Charleville à Reims, est privée de voie ferrée, ce qui la place dans une situation d'infériorité au point de vue de son bien-être, de l'exportation de ses produits ainsi qu'au point de vue de son développement, de son industrie, que la création d'un chemin de fer entre Marie et Montcornet avait pour effet de remédier au moins en grande partie à ce fâcheux état de choses. ..

Qu'ont décidé les élus de La Ville-aux-Bois ? Ils refusent de s'associer à ce projet, considérant que la subvention demandée (4 000 francs) pour ce chemin de fer d'intérêt local est trop lourde. Ils craignaient aussi les nuisances et surtout une réduction de la surface cultivable sur ce terroir de 1 200 hectares de terres fertiles. Autant dire que cette décision sera regrettée par la suite, La Ville-aux-Bois-lès-Dizy, restant finalement définitivement à l'écart du progrès qu'a représenté le chemin de fer.

La concession a la compagnie du Nord

 

Le Sénat vote le 19 mars 1881 un projet de loi qui sera adopté le 27 mars par la Chambre des députés en déclarant d'utilité publique le chemin de fer reliant Laon à Mézières par Liart, une ligne permettant de relier Paris à l'axe transversal Lille-Hirson-Charleville-Thionville. En effet, il s'agissait de combler de cette façon le retard important enregistré dans des zones non desservies du département. D'une longueur de 59, 9 km, la ligne Laon-Liart est concédée le 5 juin 1883 à la Compagnie du Chemin de Fer du Nord. La mise en service effective s'est concrétisée en deux temps, le 3 novembre 1888 de Laon à Rozoy-sur-Serre et le 10 juillet 1893 de Rozoy à Liart.

La construction s'accompagne d'une longue campagne d'expropriations parfois mal vécues, pour l'acquisition des terrains utiles à la construction des voies, gares et autres ouvrages, des terrains appartenant à des particuliers mais aussi à des collectivités locales ou à des bureaux de bienfaisance. Il est nécessaire de procéder à de longues enquêtes publiques.

On peut suivre la procédure dans les registres de délibérations des conseils municipaux. «En vertu d'un arrêté de M. le Préfet du département de l'Aisne, en date du 26 août 1887, a eu lieu l'examen et la vérification des travaux exécutés pour le service de construction du chemin de fer de Laon à Mézières à la rencontre des chemins ruraux et pour le rétablissement des communications... ». Il s'agissait d'une opération menée sur le terrain par une commission comprenant MM. Brucelle, maire de Chivres ; Matra, maire de Bucy-lès-Pierrepont ; Leroy, maire de Clermont ; Coulbeaux, maire de Chaourse ; Lepinois, maire de Montcornet ; Justine, maire de Vincy-Reuil-et-Magny ; Dufour, conseiller municipal délégué de Sainte-Geneviève ; Guyot, conseiller municipal de Chéry-les-Rozoy ; Clouet, maire de Rozoy-sur-Serre ; Jolly agent-voyer d'arrondissement ; Quignon, conducteur des Ponts et Chaussées ; Baudson et Camille Robert, chefs de section au Chemin de Fer du Nord.

La Compagnie du Chemin de Fer du Nord est toujours en janvier 1889, à la recherche forcée de terrains comme l'atteste cette délibération du conseil municipal de Rozoy-sur-Serre : «La ligne de Laon à Liart vient de procéder à l'expropriation des parcelles traversées par la dite ligne, une de celles-ci situées sur le terroir de Rozoy, lieu-dit «Le Calua», nature de prés et chemins, plantée de peupliers appartenant à la commune d'une contenance de 89 ares environ»... L'indemnité offerte est de 1533, 88 francs. Une des conséquences de la construction de la ligne sera ainsi la modification de la voirie rurale et de la structure des terroirs, les voies et gares étant construites légèrement à l'écart des bourgs et village au gré d'un parcours comportant des seuils suivant des pentes minimales (avec une rampe maximale à 9 %).

En plus de ces longues démarches administratives, il faut imaginer la somme des travaux nécessaires pour que le chemin de fer triomphe enfin dans un grand remue-ménage d'hommes, de chevaux, de pelles, de pioches et de tombereaux. .. : pour le terrassement, pour la pose des voies sur des traverses de bois et du ballast, pour la construction des bâti­ments d'exploitation, gares et halles, ainsi que des ouvrages d'art comme le viaduc de Le Fret près de Liart, où il faut gérer les premiers reliefs du massif de l'Ardenne.

La première section de la ligne, de Laon à Rozoy-sur-Serre, est mise en service le 3 novembre 1888, alors qu'on construit à Paris la fameuse tour de Gustave Eiffel, pour l'Exposition Universelle de 1889. La ligne sera prolongée jusqu'à Liart à partir du 10 juillet 1893. La création de ces voies ferrées aura comme conséquence l'avantage de désenclaver la Basse-Thiérache et d'y instaurer une nouvelle économie agricole et laitière.

Le 2 avril 1889, le conseil municipal de Rozoy-sur-Serre, réuni en session extraordinaire, sous la présidence de son maire, Louis Emile Decq, se penche sur le financement de la fête d'inauguration du chemin de fer, une dépense de 3 200 francs de l'époque couverte par un emprunt pour pouvoir payer au plus tôt les fournisseurs et les ouvriers, un emprunt autorisé par le président de la République, Sadi Carnot. L'inauguration aurait été quelque peu malmenée, si l'on s'appuie sur le témoignage de Mme Jeanne Lecossois de Rozoy-sur-Serre, aujourd'hui décédée : «Mon père m'a raconté qu'en 1889, il y a eu le chemin de fer. La commune avait organisé une fête pour l'arrivée de la première locomotive qui arrivait de Liart [sans doute veut-elle dire Montcornet... NDLR]. Elle n'est jamais arrivée en gare de Rozoy. Les agriculteurs avaient encombré le passage à niveau de vieux instruments de culture. Ils n'étaient jamais d'accord avec le progrès). Nous sommes bien là en possession d'une parcelle de la mémoire collective locale qui s'est transmise de père en fille, une manière d'illustrer l'état d'esprit des gens simples à cette époque entre Laonnois et Thiérache, face aux mutations du temps.

Montcornet, nœud ferroviaire

En 1900, tandis qu'une locomobile routière bien étonnante tractant sur la chaussée des wagonnets de bois reliait la gare de Montcornet à la sucrerie de Dizy-le-Gros, des études visent à la création d'une ligne de chemin de fer secondaire avec un écartement des rails réduit, de Marie à Montcornet (ce sera le «Marlot» inauguré et mis en service le 25 août 1907) et d'une autre ligne entre Montcornet et Dizy-le-Gros, avec embranchements vers Asfeld et vers Saint-Erme (inauguration du Chemin de fer des Ardennes ou C.A. en 1909).

Le «Marlot» avait vu son acte de naissance rédigé le 3 mai 1904 : c'est un chemin de fer d'intérêt local géré par une Société anonyme du chemin de fer de Marie à Montcornet avec du matériel portant le sigle «M.M». Il s'agissait d'œuvrer dans une logique de remplacement des transports hippomobiles et de créer une structure destinée aussi bien aux marchandises qu'aux voyageurs, sur un tracé de 19,8 km, suivant la vallée de la Serre pour desservir en particulier la sucrerie de Tavaux-et-Pontséricourt, cette dernière, pour illustrer les tendances de l'époque, étant reliée à la grosse ferme de Moranzy par un chemin de fer pour des wagonnets empruntant des voies de 0,50 m.

Autrement dit, le maillage Freycinet a continué à se densifier jusqu'au début du 20e siècle. Montcornet devenait de ce fait un nœud ferroviaire. Ainsi, avant 1914, la gare de Montcornet était aussi un point de correspondance avec les voies métriques d'intérêt local de l'Aisne... avec deux gares distinctes en un même lieu, et des embranchements particuliers. Les nouvelles installations alliaient trafics de voyageurs et de marchandises. Cela permettait en particulier de remplacer les charrois de betteraves à sucre tirés par des chevaux vers les usines de Montcornet, Dizy-le-Gros ou de Tavaux-et-Pontséricourt. Toutefois, les betteraves étaient toujours chargées dans les wagons par des manouvriers... à la fourche !

 

Un intérêt stratégique

 

La guerre 1914-1918 va révéler l'intérêt stratégique de la ligne. Elle avait été conçue en effet par l'Armée française pour transporter rapidement des troupes et pour supporter des convois lourds. Les Allemands ont profité de ces avantages durant 52 semaines d'occupation. Mais le chemin de fer était aussi un excellent moyen pour exporter toutes les matières et denrées issues d'une politique systématique de pillage des territoires occupés, et pas seulement le métal des cloches des églises.

Dès septembre 1914 et jusqu''en novembre 1918, les communes entre Thiérache et Laonnois, tout comme le département des Ardennes, sont sous la coupe de la loi de guerre allemande. Le mot «Bahnhof» remplace celui de «Gare de...» sur les pancartes. Les lieux ferroviaires sont placés sous administration allemande. Des hommes en armes gardent la voie ferrée. Il leur est donné l'ordre de tirer sur toute personne qui approcherait les rails, de jour comme de nuit, ceci par crainte de sabotages.

Les Allemands agrandissent la gare de Montcornet avec des travaux de terrassement énormes pour en faire un centre de triage. Dans cet aménagement, la Serre voit, de ce fait, son cours détourné et canalisé ! Des annexes pour les troupes sont réalisées, comme l'établissement en 1916 d'une boulangerie de campagne sous des toiles (cuisson de 2 000 pains par jour). L'entretien des voies ainsi que les réparations, d'abord confiés jusqu'en 1917 à des prisonniers russes dans des conditions exceptionnellement inhumaines avec maltraitance et humiliations, furent effectués ensuite par des «colonnes» d'ouvriers français réquisitionnés.

La ligne Laon-Liart est utilisée par l'occupant pour transporter troupes, ravitaillement et matériel dont de très grosses pièces d'artillerie vers le Laonnois et le Chemin des Dames ainsi que vers la Meuse, au nord de Verdun. Par exemple, les mitrailleurs allemands, autrichiens, voire lorrains, venus à l'instruction ou à l'entraînement dans le secteur Montcornet-Rozoy savaient qu'ils retourneraient, par la force des choses, sur le front. Le train vers Liart voulait souvent dire pour eux, une destination plus lointaine et funeste, Verdun. Selon certains témoignages oraux recueillis, les combattants de 1916 étaient parfois en pleurs et faisaient leurs adieux en quittant la gare de Rozoy, les «statistiques» donnant à un combattant sur trois l'espoir de revenir de cet enfer. A l'opposé, la direction vers Laon et vers le Chemin des Dames, équivalait, pour ces soldats et officiers, à un secteur réputé plus sûr, avec ses curettes, ses cavernes et autres ouvrages bétonnés.

A partir de 1917, le chemin de fer se révèle aussi être une source de salut pour les populations locales affamées. Il permet l'acheminement de rations de ravitaillement (lait en poudre, biscuits vitaminés, viandes séchées...), par une administration hollando-américaine, la C.R.B. (Commission for Relief in Belgium). C'est aussi, pour les personnes autorisées par l'occupant, et moyennant finance, un espoir de faire partie des convois de retour vers la France non occupée en passant par la Belgique, l'Allemagne et la Suisse.

Bombardements français

Pendant toute la guerre, le trafic ferroviaire n'a jamais faibli sur cette ligne. Ainsi, par exemple, le 15 juillet 1918, deux trains sont entrés en collision en gare de Rozoy-sur-Serre provoquant un déraillement, conséquence indirecte certainement d'un bombardement aérien de l'armée française. Les témoins de l'époque se souviennent d'avoir vu aux abords de l'accident nombre de munitions obstruant les voies durant plusieurs jours, avec, en particulier «des obus dépassant, en hauteur, la taille humaine».

De ces bombardements dont les dates ont été relevées avec précision, au jour le jour, par le percepteur Louis Paillot, par le maire de Rozoy, Achille Hecart, ou encore par le curé de Montcornet, l'abbé Clairambeau, nous ne connaissons que peu les effets destructeurs, d'autant plus que ces opérations effectuées les nuits de pleine lune, à plus ou moins haute altitude, étaient forcément imprécises. Mais on peut trouver une mention sur le carnet de bord de l'adjudant Polidor, de l'escadrille V.B. 1001 : «Le 16 octobre 1918, bombardement de la gare de Rozoy-sur-Serre — 1 obus de 268 mm, 2 obus de 200 mm - N° de l'appareil : 3 046 - 2h 10 -Pilote : adjudant Polidor ; observateur : Rouquier».

En novembre 1918, les gares et les ponts au même titre que les carrefours et les passages à niveaux sont systématiquement dynamités laissant des cratères béants, lors du départ des occupants, quelques jours seulement avant l'Armistice.

Premières rumeurs de fermeture

Les travaux de reconstruction des bâtiments ferroviaires et des ouvrages d'art débutent dès 1919 pour une période d'une dizaine d'années, avec des opérations exigeant l'emploi de nombreux travailleurs étrangers, à cause des combattants locaux tombés au champ d'honneur qu'il est nécessaire de remplacer.

Les travaux sont, il faut aussi le souligner, beaucoup plus longs que prévu, et il faut souvent faire preuve de patience : en gare de Montcornet, l'électricité n'est installée en lieu et place des lampes à pétrole qu'en 1930... En 1938, la ligne Laon-Liart appartenant à la Compagnie du Nord est incluse dans la Région Nord de la S.N.C.E, dans le cadre de la nationalisation.

Plus étonnant ! En 1925, il est déjà question de condamner cette ligne de chemin de fer, tout au moins si l'on en croit une rumeur qui parvient jusqu'au conseil municipal de Rozoy-sur-Serre et à son maire, Edmond Fricoteaux : «M. le Maire communique au Conseil Municipal, en date du 23 mai courant des habitants de la Commune à l'adresse de la Compagnie du Chemin de Fer du Nord au sujet du bruit répandu dans la Ville d'un projet de suppression des trains de Laon à Liart et vice versa et invite l'assemblée à donner son avis.

«Le Conseil, après examen de la question et en avoir délibéré, déclare partager l'émotion des auteurs de la pétition qui lui est soumise et dont il approuve complètement les termes et l'esprit en insistant tout particulièrement sur le maintien du premier train du matin de Liart à Laon à 5h 48 et qui permet aux voyageurs du pays après avoir fait les affaires qui les appellent dans la capitale de rentrer le même jour par le train partant de Laon à 21h 38 dont le maintien n'est pas moins indispensable et, par conséquent, demandé avec la même insistance».

A nouveau la guerre

Une nouvelle période troublée commence en 1940. Suivant les principes du «Blitzkrieg», l'aviation nazie frappe au devant de l'offensive des blindés de Guderian dès le 10 mai. La gare de Montcornet est visée dès le 13 mai 1940 par l'aviation allemande. Un train de munitions saute dans le secteur de Vincy provoquant de gros dégâts sur un tiers des habitations. Des essieux de wagons transpercent les voûtes de l'église Saint-Martin de Montcornet. Le principal impact dans la ville est la maternité (à quelque 500 mètres de la gare) où une bombe est tombée à l'emplacement de l'actuelle école, rue Bouillard.

Par la suite, la résistance locale s'évertue à rendre les déplacements de l'occupant aléatoires avec des actes divers en commençant par les lignes téléphoniques. Sur des secteurs parfaitement organisés, l'action est menée par le groupe de l'abbé Avot (Bucy-lès-Pierrepont), le groupe Depoorter (Montcornet), le groupe de l'abbé Ledoux (Chéry-les-Rozoy), le groupe Richard (Rozoy-sur-Serre) et le groupe Maujean...

La Résistance Fer est bien présente pour des actes concertés dès le 1er mai 1943, du camouflage d'outils jusqu'à des déraillements. Le débarquement de Normandie va se démultiplier par le biais d'opérations ponctuelles sur le ter­rain, pour retarder au maximum les mouvements de l'armée allemande, aussi bien sur l'axe Laon-Liart que sur les lignes adjacentes, Montcornet-Marle, par exemple.

Les lignes d'intérêt local continuaient à jouer leur rôle dans l'économie de la région. Par exemple, Agnicourt entre Montcornet et Marle était un point d'approvisionnement pour l'occupant, dans la mesure où le bois pour étayer les mines, extrait de la forêt domaniale du Val Saint-Pierre était utile, à destination de l'Allemagne. Les convois de munitions empruntant cet axe de raccordement devaient, bien sûr, rouler au pas en raison de la fragilité de la voie, avec la crainte de sabotages ou d'attaques des Résistants.

Le «Pont de l'Enfer» entre Bucy-lès-Pierrepont et Clermont-les-Fermes était un lieu particulièrement redouté par l'ennemi. Les actes de sabotage, ici ou là, se succèdent. Des dizaines d'opérations sont autant d'obstacles pour décourager l'occupant ou le rendre plus féroce. Chaque nuit voit son lot de coups de main contre les installations ferroviaires ou le matériel. Le 8 août 1944, à partir de 5 heures du matin, les Allemands excédés font arrêter tous les hommes de 16 à 55 ans du secteur de Montcornet. Pris d'abord comme otages, ils sont 450 à 500 à être envoyés sur les terrains d'aviation autour de Laon, tandis qu'une centaine d'autres sont relâchés.

L'année 1944 est aussi marquée par la multiplication des raids aériens alliés, toujours destructeurs, parfois très meurtriers comme à Laon ou à Tergnier. L'une des attaques les plus dramatiques en secteur rural dans l'Aisne s'est déroulée le 27 août 1944 sur le village de Bucy-lès-Pierrepont où des avions américains ont lâché leurs bombes, par un magnifique dimanche matin. Six vagues successives se sont acharnées vers 17 heures sur cette localité, la première sur la gare à un kilomètre du centre du bourg, les cinq autres sur les maisons avec les destructions que l'on suppose et une dizaine de victimes civiles. Pourtant, l'ennemi avait déjà déserté le lieu, pour se concentrer sur la ligne stratégique de la vallée de la Serre, à dix kilomètres de là. Nous sommes en effet à trois jours de la Libération.

 

Des trains aux automobiles

A l'origine à double-voie, la ligne Laon-Liart était devenue «à voie unique» après la guerre, mais elle affichait toujours, dans les années 1950, une activité notable. Montcornet conservait son statut de nœud ferroviaire assez important même si certains soirs, une 030 venait verser son feu dans l'enceinte d'un petit dépôt situé au nord des voies, derrière le château d'eau, de l'autre côté de la place de la gare, sur le terrain de l'ancien chemin de fer métrique démantelé, envahi par les herbes folles, au milieu de voitures à plates-formes aux vitres cassées...

Des locos 030 T que l'on retrouve sur l'actuel petit chemin de fer de la vallée de la Somme étaient toujours, à l'époque, utilisées par la sucrerie de Montcornet sur un embranchement particulier par des employés devenus, le temps d'une campagne betteravière, mécaniciens. Des sortes de ballets s'établissaient entre les convois de charbon tractés par des locomotives à vapeur, des 14l R de l'après-guerre, don de Etats-Unis à la France, des modèles puissants munis d'un système mécanique d'alimentation de charbon du tender au foyer

Un autre ballet s'effectuait entre «voyageurs» et «marchandises», un ballet immuable sur cette ligne fermée la nuit : le dernier train de voyageurs, venant de Liart, croisait à Montcornet, le dernier train de voyageurs arrivant de Laon. Il était alors près de 20 heures. La priorité était toujours donnée aux trains de voyageurs, suivant des opérations dites de «sécurité», grâce à un système de dépêches transmises aux gares de Laon et de Liart.

Et puis, petit à petit, le réseau routier dans l'économie locale et pour le transport des voyageurs a pris le relais du chemin de fer : extinction du trafic entre Marie et Montcornet le 17 mai 1952, même si le transport des betteraves a perduré jusqu'en juillet 1959 ; fermeture en 1963 de la ligne secondaire Montcornet-Asfeld... L'ère de la voiture particulière commençait et les autocars par la Régie des Transports de l'Aisne remplaçaient les wagons. Ainsi, entre les gares de Marle-sur-Serre et Montcornet, la ligne dite «d'intérêt local» est résiliée à compter du 1er juillet 1959, date de fermeture de tout trafic «en application de l'article 20 du traité de communauté conclu avec la R, TA., le 13 octobre 1955», pour une libération du trafic avant le 1er janvier I960.

«Si vous rangez les trains, nous sortirons les fusils !»

 

Bientôt, des rumeurs de fermeture du trafic «voyageurs» circulent, même si les usagers n'y prêtent au début grande attention. Le chemin de fer reste une utilité évidente. Les autorails et machines diesel ont remplacé progressivement la traction vapeur après 1965. Mais, c'était peut-être un signe, l'axe Laon-Liart ne sera jamais électrifié... L'heure de la mort annoncée de cette ligne sonne en 1968, pour le trafic des voyageurs. Pourtant, en 1960, moins de dix ans auparavant, la ligne avait été refaite entièrement par la S.N.C.F. : rails en barres soudées de 1 500 mètres, ballast, traverses neuves...

L'annonce de la fermeture provoque des manifestations hostiles avec des pancartes où l'on pouvait lire : «Si vous rangez les trains, nous sortirons les fusils !». Un comité de défense de la ligne se crée, organise manifestations et pétitions. Il brandit bientôt la menace d'une démission collective des conseils municipaux de la région adressée à la Préfecture.

Voici le texte du télégramme envoyé à Monsieur le Préfet de l'Aisne le 27 septembre 1968 : «Les Maires des Communes de Liesse, Chivres, Athies, Chaourse, Montcornet, Vincy-Reuil-et-Magny, Chéry-lès-Rozoy, Résigny, Archon, Sainte-Geneviève, Soize, Raillimont, Lislet, Vigneux-Hocquet, Dolignon, Goudelancourt[-lès-Pierrepont], Brunehamel et Rozoy-sur-Serre réunis en Comité de Défense de la Région desservie par la ligne Laon-Liart, consternés par l'éventualité de la suppression du trafic voyageurs sur cette ligne :

a)      demandent à Monsieur le Préfet d'intervenir afin que la décision de maintien de la ligne soit prise

b)     décident de proposer,  des maintenant,   à  leurs   Conseils Municipaux  respectifs  et aux maires  des  autres   communes intéressées, une démission collective des dits conseils, vendredi 4 octobre 1968. »

II faut noter que, parmi les signataires, figurent les noms de maires de communes comme Lislet ou Brunehamel dont le terroir n'est pas desservi ni même traversé par la ligne Laon-Liart. Ceci démontre le «choc» ressenti par les habitants du Laonnois et de la Thiérache à l'annonce de la fermeture.

L'extinction du trafic voyageurs est cependant déclarée le 28 septembre 1969 avec, ce jour-là, le blocage symbolique du dernier train. Cette démarche s'accompagne, depuis le mois d'août, d'une grève administrative totale de la part d'une trentaine d'élus locaux de Thiérache. Le déclassement du secteur Rozoy-Liart et le démontage des voies sont décidés le 24 février 1975. Le trafic marchandises entre Rozoy et Montcornet s'éteint progressivement, maintenu par la seule desserte des silos des coopératives et par le transport des céréales et autres produits agricoles, jusqu'à Rozoy-sur-Serre.

La gare de Rozoy est rasée

La conséquence de cette fermeture de la ligne au trafic voyageurs a été la suppression de cinq postes d'agents à Rozoy et de dix à Montcornet. Après octobre 1969, le service marchandises a continué de fonctionner avec un gros client, l'usine de caravanes Digue, à Rozoy-sur-Serre, qui comptait à cette époque 700 employés. Le maximum de caravanes expédiées a été de 32 wagons par jour ! Chaque wagon pouvait recevoir deux grandes caravanes ou trois petites. Par la suite, s'est créée localement une société de transport de caravanes par la route vers Dijon, Laon, Perpignan... qui est entrée en concurrence avec la S.N.C.F. M. Raymond Lescaille, l'ancien chef de gare de Rozoy, explique : «Le trafic marchandises n'était plus rentable. La gare de Rozoy a été tout simplement supprimée avant d'être rasée». "

Le centre de la Régie des Transports de l'Aisne, à Montcornet, assure désormais le service «voyageurs» , en particulier pour les lycéens fréquentant les établissements de Laon. Cette mutation s'effectue avec un autre transfert d'emplois et le recrutement de chauffeurs d'autocars, des personnes issues souvent d'anciens emplois agricoles, la mécanisation s'accompagnant d'une baisse de la main d'œuvre dans ce secteur économique.

 

Tour à tour, cet axe a été amputé et démembré par le nord-est, dans un premier temps, sur le secteur Liart-Rozoy (déclassement décidé le 24 février 1975) : les rails, les traverses et le ballast ont été enlevés et vendus pour laisser place à une végétation conquérante et à des marécages, aux confins du département des Ardennes. Puis est venu le tour du secteur suivant Rozoy-Montcornet...

Le chemin de randonnée du Val de Serre

 

Profitant du droit de préemption des communes desservies par cette ligne, sur les terrains laissés libres par la S.N.C.F., la communauté de communes des Portes de laThiérache a choisi de réhabiliter cet axe sous un angle touristique et sportif, avec l'aide, en particulier, de l'État et de fonds européens.

Les élus ont opté pour la solution suivante : une voie visant à la promotion de la Thiérache, non pas en y reconstituant un chemin de fer à vapeur d'époque, mais en faisant aménager un sentier de randonnée long de 16 kilomètres empruntant à l'identique l'ancien tracé ferroviaire. Cette portion se situe entre la gare de Montcornet et la limite du département des Ardennes (La Planche à Serre, commune de Résigny). Le projet a été rendu possible en instituant des chantiers d'insertion pour des demandeurs d'emploi de longue durée. Il a fallu aussi parallèlement employer des engins de travaux publics adaptés, par des entreprises spécialisées pour entamer la reconquête de sec­teurs encombrés par la végétation et par l'eau stagnante.

L'inauguration de cette piste large de 1,5 à 2 mètres, avec un secteur de pontons de bois au-dessus de la zone humide de Grandrieux, a eu lieu le 22 juin 2002. Ce nouveau «sentier vert» dans l'Aisne est appelé le «Val de Serre» et il figure désormais dans les guides de randonneurs. Il est accessible aux marcheurs, cyclistes et cavaliers et interdit à tout engin motorisé. Des panneaux d'informations faisant l'historique de cette ligne Laon-Liart, mais aussi sur la région et sur des circuits pédestres adjacents éclairent les visiteurs.

Le destin de la ligne de chemin de fer Laon-Liart se poursuit cependant. Mais désormais uniquement entre Laon et Montcornet et seulement pour quelques trains de marchandises.

Jean LECLERE

Déjà, dans les années 60, la suppression des lignes SNCF isolait les campagnes...

Pancartes devant la mairie de Résigny le 19.08.1969

Mr Roger Sinet : Le conseil unanime refuse "le desert français"
Mr Roger Sinet : Le conseil unanime refuse "le desert français"
Manifestation à la gare de Laon
Manifestation à la gare de Laon
La montée vers le haut de la ville de Laon
La montée vers le haut de la ville de Laon
A l'hotel de ville de Laon
A l'hotel de ville de Laon
Devant la Préfecture de l'Aisne
Devant la Préfecture de l'Aisne
L'opignon d'un journaliste parsien...
L'opignon d'un journaliste parsien...
La réponse des locaux...
La réponse des locaux...